Sarah van Veen se souvient bien du moment où son expérience de laboratoire est devenue bleue. Comme si c’était hier ! 

C’était en septembre 2016 et elle avait entamé son doctorat en sciences biomédicales depuis deux ans, étudiant comment une protéine dysfonctionnelle dans les cellules du cerveau pouvait contribuer au développement de la maladie de Parkinson.

« Je ne m’attendais pas vraiment à voir du bleu ce jour-là« , nous a-t-elle confié le lendemain de la publication des résultats de ses recherches dans la prestigieuse revue scientifique Nature.

« Nous avions conçu l’expérience de telle sorte que si nous obtenions une réaction positive, l’échantillon deviendrait bleu. Mais nous testions une protéine qui, lors d’expériences précédentes, n’avait jamais réagi aux composés testés, si bien que nos attentes de résultats positifs étaient très faibles. Nous voulions faire preuve de minutie en testant toute une série de substrats candidats, de façon à pouvoir les rayer de la liste. Mais, contre toute attente, l’échantillon a réagi à un composé particulier. Il est devenu bleu, le résultat que nous espérions voir. Je n’oublierai jamais ce moment« .    (Photo: Sarah van Veen)

Sarah, membre du Laboratoire des Systèmes de Transport Cellulaire de la KU Leuven, venait de découvrir que la protéine ATP13A2 transporte des polyamines dans les cellules du cerveau. Les polyamines sont des molécules importantes qui contribuent au renouvellement cellulaire et agissent contre la dégénération. Leur transport est essentiel pour le fonctionnement normal des lysosomes en tant que centres de décomposition et de recyclage dans la cellule. Par conséquent, lorsque cette « protéine de transport » fonctionne mal – à la suite d’une mutation génétique souvent observée chez les patients atteints de la maladie de Parkinson – ces polyamines vitales ne peuvent plus voyager dans la cellule comme elles le devraient et les « unités d’élimination des déchets » internes du neurone (lysosomes) éclatent, entraînant la mort de la cellule. La perte de ces cellules cérébrales vitales est à l’origine des symptômes débilitants associés à la maladie de Parkinson.  Prévenir leur perte en assurant un flux continu et correct de polyamines à travers la protéine ATP13A2 pourrait donc être la clé – LA clé – pour éviter, arrêter ou peut-être même inverser les effets de la maladie de Parkinson.

« C’était un grand pas en avant de découvrir ce que fait réellement l’ATP13A2 – et la publication dans Nature a été un rêve devenu réalité. Mais ce n’est que la première pièce du puzzle qui n’a été possible que grâce à toutes les recherches effectuées par d’autres, sur lesquelles nos recherches ont pu s’appuyer », explique Sarah. « Maintenant, d’autres vont faire passer notre recherche à un niveau supérieur et voir comment ils peuvent utiliser nos connaissances pour créer un traitement efficace. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, mais je me sentirai toujours très liée à ce travail« .  

Le rôle de la recherche fondamentale dans le développement des médicaments

En effet, le chef du laboratoire où Sarah a effectué ses recherches minutieuses, le professeur Peter Vangheluwe, estime que parvenir à ce stade a pris 10 ans et indique que des recherches supplémentaires sont maintenant nécessaires pour trouver comment activer et désactiver la protéine ATP13A2. De petites molécules seront alors conçues qui permettent de contrôler le fonctionnement de cette protéine et qui pourraient être à la base d’un futur traitement pour les patients.  

Cette chasse à une molécule efficace sera menée par son équipe en collaboration avec le Centre pour la Conception et la Découverte de Médicaments (CD3) de la KU Leuven en collaboration avec la Michael J. Fox Foundation (MJFF). L’objectif final est de concéder une licence à une société pharmaceutique pour les molécules à potentiel identifiées, afin qu’eux poursuivent la recherche et le développement, y compris les essais cliniques coûteux.   (Photo: Prof. Peter Vangheluwe)

« Nous avons fait de la recherche « fondamentale » et nous allons maintenant travailler avec CD3 pour combler le fossé entre notre découverte et le moment où les sociétés pharmaceutiques se sentiront assez confiantes pour intervenir« , a-t-il expliqué à Patrick et Anne-Marie, co-fondateurs de la Demoucelle Parkinson Charity, lors d’une visite de son laboratoire juste avant la publication de Nature. « Il faudra plusieurs années avant d’arriver à un traitement validé, mais notre connaissance s’élargit tout le temps, et nous pouvons appliquer chaque nouvel apprentissages à d’autres recherches, ce qui fait que cela va de plus en plus vite« .

Prof. Vangheluwe considère qu’il était vital d’obtenir du soutien financier pour la recherche fondamentale de la part de l’université et d’organisations caritatives telles que le MJFF et la Demoucelle Parkinson Charity (qui soutient un projet « jumeau » sur la protéine de transport ATP10B), car sans ces organisations, les premières pierres de la découverte de médicaments n’auraient pas été posées. 

« Seuls 10 à 20 % des projets de recherche fondamentale proposés parviennent à trouver du financement et ce type d’études est très coûteux. Obtenir un financement de démarrage pour ces projets a donc été très utile et nous leur en sommes très reconnaissants« , a-t-il déclaré lors d’une présentation de son équipe et de son travail..

« Les fonds sont utilisés pour payer les salaires des chercheurs, acheter des équipements, cultiver les cellules nécessaires, organiser d’importantes réunions de partage d’informations et participer à des conférences », explique Prof. Vangheluwe.  « La découverte d’un médicament capable de guérir les patients est clairement l’objectif ultime. Mais pour les scientifiques qui mènent des recherches fondamentales, le fait de réaliser des percées importantes dignes d’un article dans « Nature » est un encouragement bienvenu et un moyen important de diffuser le savoir-faire et d’accélérer la recherche à travers le monde. »

Boost d’un projet associé

En fait, le collègue (et partenaire de vie) de Sarah, Shaun Martin, un scientifique postdoctoral britannique de haut niveau, qui l’a aidée dans le projet ATP13A2, a déjà pu appliquer les nouvelles connaissances acquises à ses propres recherches sur le rôle de la protéine de transport ATP10B. 

Les deux grands-mères de Shaun étaient atteintes de la maladie de Parkinson, donc pour lui « cette recherche est à la fois personnelle et professionnelle« , a-t-il expliqué à Patrick & Anne-Marie, en précisant que c’est grâce aux subventions de la Demoucelle Parkinson Charity et de la Michael J. Fox Foundation, qu’il a pu étudier comment les mutations génétiques de l’ATP10B affectent le développement de la maladie.

« Nous avons assez rapidement fait de grands progrès et nous pourrons bientôt partager nos découvertes plus largement », a-t-il déclaré. « C’est passionnant ».

Pendant ce temps, toute l’équipe de la KU Leuven s’est amusée à célébrer l’article de Nature avec Sarah et à répondre aux questions et aux demandes de renseignements de collègues du monde entier.

« Nous avons eu beaucoup de célébrations« , confie Sarah, qui défendra sa thèse de doctorat à la fin de ce mois et deviendra chercheur postdoctoral à part entière. « Cela fait du bien de la voir enfin publiée. Mais je n’oublierai jamais ce moment où j’ai vu (l’échantillon) virer au bleu ! »