Entretien avec le professeur François-Laurent De Winter, neuropsychiatre pour personnes âgées, Campus Gasthuisberg, Centre Psychiatrique Universitaire KU Leuven.
*** Professeur De Winter – Tout d’abord, merci beaucoup de nous avoir accordé cet entretien. Que pouvez-vous dire de manière générale sur l’impact psychologique associé à la maladie de Parkinson ?
Le diagnostic de la maladie de Parkinson a déjà un impact psychologique majeur pour la plupart des gens. Beaucoup ont en tête une image de fatalité et se posent rapidement la question de savoir comment les choses vont évoluer. D’autre part, on se rend compte que la maladie ne disparaîtra pas. Jusqu’à présent, on ne peut pas la guérir. De plus, la maladie n’est pas seulement chronique, elle est aussi évolutive. En effet, il s’agit d’une maladie neurodégénérative, qui progresse. Cela signifie que tout au long du processus de la maladie, vous devez vous adapter à de nouveaux symptômes et à de nouvelles limitations. Certaines activités qui pouvaient encore être réalisées sans problème ne sont plus possibles après un certain temps. Cela exige beaucoup de la personne atteinte de la maladie de Parkinson. Une maladie dans laquelle les capacités d’adaptation physiques et mentales sont souvent limitées exige de la souplesse. Or, celle-ci n’est pas naturelle pour tout le monde.
*** Où mène cette difficulté ?
La maladie de Parkinson n’entraîne pas toujours des difficultés ou des troubles mentaux, mais elle y rend les personnes plus vulnérables. Les symptômes anxieux et dépressifs sont plus fréquents avec la maladie de Parkinson. On estime que près de la moitié des patients en souffrent. Des facteurs psychologiques, comme le fait d’avoir plus de difficultés à s’adapter à la nouvelle situation après le diagnostic, augmentent ce risque, mais les modifications biologiques du cerveau associées à la maladie rendent également les personnes plus sensibles à de nombreux symptômes psychologiques.
*** Certains profils sont-ils plus susceptibles de souffrir de dépression ?
Bien que la maladie augmente la vulnérabilité à la dépression, il est certain que toutes les personnes atteintes de la maladie de Parkinson ne deviennent pas dépressives. Des facteurs tels que le style de personnalité, le soutien social et la prédisposition génétique sont susceptibles de jouer un rôle. Les personnes qui ont tendance à s’inquiéter facilement ou à avoir une vision plutôt pessimiste du monde, ainsi que les personnes qui ne sont pas entourées socialement, courent un risque plus élevé. Les personnes qui ont été victimes – peut-être il y a longtemps – d’un traumatisme psychologique sont également plus vulnérables.
*** Des études montrent qu’un patient sur cinq a des pensées suicidaires. Les patients et leurs proches doivent-ils paniquer ?
Ce n’est pas une raison pour paniquer, mais c’est une raison pour discuter et s’interroger sur la tendance au suicide, en particulier si les personnes se sentent moroses ou déprimées. En général, la tendance au suicide est un symptôme d’un autre problème, généralement la dépression. Il est donc particulièrement important de traiter ce problème le mieux possible.
Il est également important de comprendre que le pourcentage de patients parkinsoniens qui meurent effectivement des suites d’un suicide est nettement inférieur à 1 sur 5. Heureusement, le fait d’avoir des pensées suicidaires ne conduit pas toujours à une tentative de suicide ou à un suicide.
*** Que peuvent faire les patients pour réduire le risque de dépression et de pensées suicidaires ?
La dépression et la tendance au suicide sont des phénomènes humains. On ne peut pas toujours y faire grand-chose soi-même. Cependant, plus une personne s’adapte à la nouvelle réalité après le diagnostic, plus sa résilience psychologique est grande. Si, par exemple, vous parvenez à adapter vos objectifs, vos attentes ou vos ambitions à des objectifs plus réalisables ou plus réalistes, vous serez moins susceptible d’éprouver des frustrations et de vous laisser envahir par des pensées et des sentiments négatifs. La pratique régulière d’une activité physique est également susceptible d’avoir un effet préventif. Des contacts sociaux précieux sont également importants, car la solitude augmente le risque de dépression.
*** Peut-on cesser d’avoir des objectifs ambitieux ?
Il est bon de continuer à se fixer des objectifs, à condition qu’ils soient réalistes. Le problème survient lorsque l’on s’accroche à des choses qui ne sont plus réalisables. Le fait de laisser tomber ce qui n’est plus réalisable et de se concentrer sur ce qui est encore possible peut faire place à des expériences positives. En fait, il est même recommandé – dans la mesure du possible – de rester engagé dans ce que vous trouvez vous-même précieux. Accrochez-vous à ce qui fait partie de votre identité et ne laissez en aucun cas cette identité coïncider avec la maladie et ses limites.
*** Est-il utile de voir des exemples positifs d’autres personnes atteintes de la maladie de Parkinson ?
Pour certains, cela peut être une source d’inspiration, mais il est important de ne pas trop se comparer aux autres. Chaque personne vit la maladie différemment et il n’est pas toujours utile de se comparer à quelqu’un qui semble mieux fonctionner. En revanche, une personne atteinte de la maladie de Parkinson qui réalise quelque chose de positif peut être non seulement une source d’inspiration, mais aussi un signal fort sur le plan social. Ce n’est pas parce qu’on est diagnostiqué que l’on est soudain plus capable de quoi que ce soit.
*** Quand faut-il chercher de l’aide pour des troubles psychologiques ?
Si vous avez vous-même des plaintes ou si quelque chose vous dérange, il est préférable de chercher de l’aide. Toutefois, c’est souvent l’entourage qui demande d’abord de l’aide. Si une personne exprime de manière persistante des pensées négatives, se replie sur elle-même, exprime un désir de mort ou a des idées suicidaires, il est d’autant plus important de chercher de l’aide. De même, si l’entourage remarque qu’une personne se comporte différemment, cela peut être le signe de problèmes de santé mentale sous-jacents. En outre, le fait de s’interroger sur les pensées suicidaires et d’en parler est important pour la prévention du suicide, en particulier dans les cas de dépression. Il est également important de mentionner que les problèmes de santé mentale peuvent souvent être bien gérés. La dépression ou les troubles anxieux, par exemple, peuvent généralement être bien traités. Le chemin vers la guérison est parfois un peu plus long, mais ne rien faire ou attendre n’est pas une option. Des problèmes tels que l’anxiété ou la dépression sont également tout à fait réversibles. Une personne en dépression peut s’en sortir complètement. Parfois, les symptômes peuvent seulement diminuer sans disparaître complètement, mais même cela fait parfois une différence substantielle pour les personnes en termes de qualité de vie.
*** L’apathie est-elle toujours un signe de problèmes de santé mentale dans la maladie de Parkinson ?
L’apathie peut survenir en l’absence de dépression, bien qu’elle puisse parfois en être un symptôme. Par essence, l’apathie est un manque de motivation qui n’est pas nécessairement associé à une souffrance pour le patient. C’est souvent l’environnement qui perçoit le manque d’initiative comme une frustration. Dans la dépression, au désintérêt et/ou à la morosité s’ajoutent souvent la culpabilité, des pensées d’auto-culpabilisation et parfois des pensées de mort. Pour reconnaître cette différence, il est important de se plonger dans l’expérience du patient.
*** Quelle est la meilleure personne à qui parler de ses symptômes psychologiques ?
Dans un premier temps, vous en parlez à vos proches, comme votre partenaire ou les membres de votre famille. Le médecin généraliste est également un premier interlocuteur. En règle générale, il s’agit de personnes qui vous connaissent bien et qui peuvent donc souvent évaluer si quelque chose sort de l’ordinaire. Le médecin généraliste ou le neurologue qui vous suit peut souvent déterminer si une orientation vers un psychologue ou un psychiatre est nécessaire. Un traitement précoce peut permettre d’éviter que les symptômes ne s’aggravent et ne conduisent, par exemple, à des épisodes dépressifs graves, voire au suicide.
*** Pourquoi est-il difficile de parler des symptômes de santé mentale ?
En fait, c’est souvent le cas. Parfois, les personnes ne savent pas si leurs symptômes sont liés à la maladie de Parkinson ou ignorent que des symptômes psychologiques peuvent faire partie du tableau clinique. Parfois, elles ont honte de leurs plaintes, qu’il s’agisse de pensées dépressives ou suicidaires, mais aussi, par exemple, d’hallucinations. Le seuil de demande d’aide pour des plaintes psychologiques est parfois élevé. Je remarque parfois que lorsque je questionne la présence de certaines difficultés au cours d’une consultation, les personnes disent « oui, oui, j’ai cela depuis longtemps, mais je n’en ai jamais parlé ». Le partenaire est alors parfois surpris de constater que cette plainte existait mais qu’elle n’avait pas été exprimée. Une fois que les patients verbalisent leurs plaintes, celles-ci peuvent être interprétées et traitées de la meilleure façon possible.
*** Comment les psychologues et les psychiatres peuvent-ils aider à résoudre les problèmes psychologiques ?
La nature et la gravité des plaintes déterminent principalement l’approche la plus appropriée. Pour les plaintes principalement liées, par exemple, à la difficulté de faire face à la maladie et aux limitations qui y sont associées, un traitement psychologique sous la forme d’une thérapie par la parole ou d’une psychothérapie peut être utile. Le psychiatre sera le premier point de contact en cas de plaintes psychologiques graves ou de changements de comportement. En tant que médecin, le psychiatre a une meilleure compréhension des mécanismes biologiques sous-jacents qui, en combinaison avec des facteurs psychologiques et sociaux, jouent un rôle dans le développement des symptômes psychologiques de la maladie de Parkinson. D’ailleurs, les médicaments antiparkinsoniens peuvent également jouer un rôle dans l’apparition de troubles psychologiques. Les troubles moteurs et psychologiques sont souvent liés et un ajustement des médicaments anti-parkinsoniens est parfois recommandé dans un premier temps. Les médicaments tels que les antidépresseurs sont également souvent utiles, en combinaison ou non avec la psychothérapie, pour les troubles anxieux ou dépressifs, par exemple. Plusieurs types d’antidépresseurs peuvent également être utilisés en toute sécurité dans la pratique en association avec des médicaments contre la maladie de Parkinson. Les techniques de neuromodulation telles que l’électro-convulsivothérapie peuvent également être utilisées avec profit dans certaines situations spécifiques.
*** D’après votre expérience, comment les aidants informels perçoivent-ils les soins prodigués aux patients atteints de la maladie de Parkinson, en particulier s’ils présentent des symptômes psychologiques ? Quels conseils leur donnez-vous ?
Les aidants informels sont souvent très sollicités, en particulier lorsque le patient perd de son autonomie. Cela peut être physiquement et émotionnellement éprouvant, surtout si le patient présente également des symptômes psychologiques, et encore plus si l’aidant informel est déjà âgé. Les problèmes de sommeil, fréquents dans la maladie de Parkinson, peuvent gravement perturber le sommeil des aidants informels, le rendant parfois encore plus difficile.
Il est donc important que les aidants informels puissent être soulagés par moments, prendre du temps pour eux et oser demander de l’aide. Il est essentiel de prendre soin de soi pour maintenir les soins. Le recours à une aide extérieure, telle que les soins infirmiers à domicile, permet d’éviter la surcharge.
*** Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux personnes qui sont en contact avec des patients atteints de la maladie de Parkinson ?
Les patients ont parfois l’impression que leur entourage sous-estime leurs symptômes. Par exemple, la fatigue et les problèmes de concentration ne sont pas toujours visibles mais peuvent être très stressants. En outre, les patients ont parfois l’impression que leur entourage a des attentes trop élevées à leur égard, ce qui crée une pression supplémentaire. Il est important que les aidants naturels, la famille et les amis des patients en soient conscients. Cela peut éviter des tensions inutiles.
*** Conclusion
En résumé, la maladie de Parkinson peut être associée à des symptômes non seulement physiques, mais aussi psychologiques profonds. La dépression et l’anxiété sont des problèmes courants auxquels les patients sont confrontés. D’une part, cela est lié au processus de la maladie, mais des facteurs psychologiques tels que le fait de devoir constamment s’adapter à une situation en constante évolution jouent également un rôle. Il est important que les patients en parlent à leur neurologue ou à leur médecin généraliste lorsqu’ils traversent une période difficile, et qu’ils ne continuent pas à y faire face eux-mêmes. Si nécessaire, ils peuvent être orientés vers un spécialiste.
En outre, l’environnement, y compris les aidants informels, joue un rôle crucial dans le soutien apporté au patient. Ce sont eux qui connaissent le mieux le patient et qui seront souvent les premiers à détecter les changements dans le fonctionnement psychologique. En même temps, ils sont les mieux placés pour connaître leurs propres limites et doivent prendre soin d’eux-mêmes.
En comprenant et en reconnaissant les symptômes, les tensions peuvent être réduites et la qualité de vie du patient et de l’aidant informel peut être améliorée.
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Si vous avez des pensées suicidaires, veuillez appeler 0800 32 123 pour obtenir un soutien gratuit, compatissant et confidentiel par téléphone ou par chat en ligne, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Centre de Prévention du Suicide